Je profite des 4 jours restant avant l'arrivée de Tom à Bishkek pour laisser le vélo,
afin de visiter le lointain caravansérail de Tash-Rabat et ses alentours...
C'est pas tout près!
J'ai posé mon vélo chez Irina à Balyktchy et je marche en direction de l'автовокзал (avtovogzal/gare routière) pour une journée de transport et une longue suite de taxis, partagés ou non. Mon objectif : rejoindre le caravansérail de Tash-Rabat. C'est un des rares vestiges de la route de la soie passant au Kirghizstan. Apparemment impressionnant à voir... et perdu dans une vallée à 290 km de là.
Je fais donc Balyktchy -> Kotchkor -> Naryn -> Tash-Rabat. Sur le dernier tronçon je suis seule parce que j'avais la flemme de faire du stop et d'une galère potentielle. J'ai opté pour un package tout compris, tout réservé au CBT (office de tourisme) de Naryn, pour avoir l'esprit tranquille, une fois n'est pas coutume! J'ai donc un chauffeur pour le caravansérail, qui reviendra me chercher le surlendemain à midi pour m'amener au village d'At-Bashi, et deux nuits en yourtes au campement sur place. Je prévois un jour pour faire la randonnée jusqu'au Panda Pass, puis la seconde matinée pour visiter le caravansérail et ensuite le village d'At-Bashi dans l'après-midi ; dormir sur place et revenir à Balyktchy dans la journée du 4 septembre pour attraper le train m'amenant à Bishkek et retrouver Tom le 5 au matin. Tout un programme! Qui sera chamboulé!
Mention spéciale quand même pour ce chauffeur, Milan de son petit nom, pour le pire moment de bizarrerie du séjour... tellement gênant! Cet homme m'a parlé sexe pendant quasi une heure et demie en commençant direct dans son anglais approximatif (mais ça il savait sans problème!) : "Tu fais du sexe toi?" "Heu... oui mais pas avec toi." Et à quel âge? Avec combien d'hommes? Etc. Sans se départir de clichés bien sexistes et arriérés évidemment, mais bon je n'étais plus à ça près... comme quoi les hommes ont plus de besoins que les femmes, une semaine, un mois, pulsions et blablabla. Il avait soit-disant fait l'amour dans les montagnes avec une suisse de 25 ans. Je me suis beaucoup interrogé sur les motivations et la vie de cette fille si cette histoire était vraie... Bref, partagée entre le dégoût, l'intérêt sociologique, le rire et une légère angoisse. J'apprendrais quand même des petites choses intéressantes sur le sujet. Notamment que les femmes kirghizes n'utilisent vraisemblablement pas la pilule, lui-même n'ayant aucune connaissance de l'existence d'un tel produit. Il m'a demandé si ça existait pour les hommes. Puis quand je lui ai dit qu'il fallait la prendre tous les jours, il trouvait ça finalement plus facile d'avorter... Merci Milan. Enfin me voici à Tash-Rabat et pas fâchée d'être arrivée!
Tash-rabat
Le Yurt Camp
Il n'y a plus grand monde au Yurt Camp géré par l'office de tourisme. L'ambiance est un peu moins sympa qu'à Song Kul mais bon c'est chouette quand même. Le cadre est à couper le souffle! Je ne suis pas encore blasée - le serais-je jamais? - de ces écrins de nature, de ces si grands espaces... Ça me fait le même effet choc. On avoisine les 3 500 m et c'est les collines-montagnes aux douces courbes, comme une immense houle... les roches qui affleurent, la rivière grasse, les mottes vertes à l'infini. J'arrive pour le coucher du soleil, lumières magiques et la vallée se pare d'or. Le caravansérail se dresse, fier, en contrebas de mon perchoir, à quelques mètres des yourtes. Bref, nouvelle carte postale.
J'ai une yourte pour moi toute seule, avec des couvertures lourdes et flashys. Ils y allument le poêle le soir et on ne peut littéralement pas tenir à l'intérieur tellement il fait chaud, ce qui me ravit au plus haut point. Le dîner et petit-déjeuner sont très généreusement servis - avec du beurre maison - autre source de ravissement. Je rencontre aux repas Cécile et Martin, un couple de français qui voyage dans un 4x4 de location, vert, vieux et capricieux. Ils ont prévu la même rando que moi mais à cheval. Il y a également Patricia & Juan, couple hispano-mexicain, qui eux en reviennent et sont assez crevés! Mais quand je leur parle de mon projet de voyager au Mexique cette année et que je leur demande des conseils, Patricia retrouve instantanément la pêche! Passionnés de ce pays, ils y ont voyagé un bon milliard de fois, me semble-t-il, au vu du flux d'informations transmis... Elle est adorable et prend son rôle tant à cœur que le soir elle me prépare des petites notes dans sa yourte pour synthétiser tout ça et me les donne au matin!
Panda Pass & Peak Patamushta - 24km / 980 ↗ / 6h
Après un copieux petit-dèj donc, j'entame la rando. Le but est de monter au col, le Panda Pass, situé à 4025 m et qui offre une vue sur le lac de Chatyr Kul et ceci sans autorisations nécessaires. Et oui! Comme nous ne sommes toujours pas bien loin de la Chine, il faut un permis payant spécial pour entrer plus loin dans la zone. Ils n'ont vraiment pas l'air de rigoler les Chinois avec leur frontière, du coup les Kirghizes non plus visiblement ; mais enfin chez nous on se fend pas plus la poire...
Sur terre, à part les éternelles marmottes, la steppe paraît déserte. Mais l'air bruisse de battements d'ailes, petits et grands. J'observe un vol de vautours, puis celui d'un gypaète - quelle impressionnante envergure! - et tout un tas de moineaux colorés que je suis incapable de nommer. Du jaune, du rouge. Kaléidoscope de brun, blanc et noir quand les huppés s'envolent.
Le chemin longe pendant un moment la rivière principale, puis il bifurque en grimpant sur la droite pour suivre un affluent. Ça monte doucement à flan jusqu'au pied des montagnes rocailleuses. C'est à cet endroit que je rejoins un groupe de français voyageant avec guide, via une agence, en Ouzbékistan et Kirghizstan. Ils ne sortent pas de l’œuf mais tiennent bien la forme pour faire cette rando avec leurs sept décades au compteur! On discute un peu, ils sont six amis, de Dijon et Bourgogne, si j'ai bien compris. Ils arpentent le globe depuis longtemps de cette manière : Myanmar, Éthiopie, Égypte, Zimbabwe.... Ils ont des tonnes d'anecdotes géniales à écouter! Le guide leur permet de faire plus de lien avec la population et c'est vrai que leurs voyages donnent envie même si ça a un prix! Macha, leur guide kirghize, est très sympa (les français ne sont d'ailleurs qu'éloges à son égard), elle me rassure sur les deux chiens - en fait des chiots mais j'y peux rien : peur irraisonnée - qui les accompagnent. Je les dépasse et continue l'ascension. La dernière partie, plus raide, se fait dans le pierrier ; j'y croise Cécile et Martin dans leur redescente à cheval.
Me voici au col! Vent et vue.
Je pousse un peu plus haut, au Peak Patamushta à 4077 m, à quelques minutes à l'ouest du col.On est le 2 septembre, c'est la rentrée et je m'offre un petit record personnel : je n'ai jamais foulé un endroit plus haut sur terre.
Rien à voir avec Ala-Kul, ici c'est la rocaille, les pierriers, la steppe. Les nuages font des tâches sur l'immense plaine entourant le lac. Variation de rochers, du bulbe blanc et ocre sableux au noir du schiste. Je passe mille ans là-haut, seule dans le vent, à prendre mes photos. Je vois le groupe parvenir au Panda Pass puis entamer le retour, allez je redescend moi aussi, il faut bien!
Macha m'invite immédiatement à pique-niquer avec eux. J'ai le droit à une assiette remplie de pâtes et viande de cheval, du pain et un thé chaud! Luxe de rando. Ça les interroge que je voyage seule, ça les inquiète aussi. Macha m'en reparlera le soir, quand je passerais les voir sur leur campement pour échanger nos contacts, et le sujet fera débat en même temps que la libération de la femme. Ils sont très curieux et je leur donne l'adresse du blog. Amis, si vous me lisez, écrivez-moi!
L'un d'entre eux, pardon j'ai oublié les noms, fête ses 70 ans. Lui aussi s'est offert son record altitude pour son anniversaire! Je n'ai d'ailleurs jamais vu une table pareille! Elle déborde de nourriture... alors qu'ils en sont aux shots de vodkas et ont terminés le repas! Des plats en sauce, des gâteaux, des gâteaux ; on se croirait dans un banquet rabelaisien. Ils me disent que c'est comme ça tous les soirs et que c'est impossible de tout manger ^^
Le caravansérail
Je visite le monument en tant que tel dans la matinée du lendemain. Les murs sont très bien conservés, mais il n'y a rien du reste, pas d'explications, pas de panneaux ou de reconstitution. Même sur internet, il n'y a pas grand chose à part que le site est une étape de la route de la soie et qu'il est sur l'emplacement d'un temple nestorien du IXème siècle. Bon, du coup c'est beau, un peu impressionnant mais la visite est très succincte.
At-Bashi
Bof bof & moral mou
Heureusement, ce n'est pas Milan (problème de voiture, son dieu a du le punir pour ses paroles déplacées) mais un autre chauffeur qui vient me récupérer. Lui aussi voudra quand même prendre des photos avec moi. Il y a des choses que je ne comprend pas. Mais vu qu'il ne parle pas suffisamment anglais, il me laissera bien tranquille par la suite. J'en ai un peu assez d'être leur bout de viande et du coup mon moral baisse... Il me dépose dans le centre, devant le bazar comme je lui demande. Et en fait je me rends compte que je n'ai pas grand-chose à faire ici. Le village n'a rien de particulier au final... J'ai fait le tour du bazar en deux secondes, je n'ai rien à acheter et comparé à Bishkek ça ne vaut pas le coup. Dans le guide, il parle du cimetière, c'est à quarante minutes à pied... Je suis fatiguée d'être observée, je me réfugie dans un café où les dames m'ont un peu alpaguée. Je me sens mal à l'aise de prendre juste un thé. Je n'ai pas envie de son pain fourré au mouton et aux oignons mais je finis quand même par en commander un...
Ça m'aura permis d'aller aux toilettes, la cuisinière m'y conduit et je fais une nouvelle découverte culturelle de la plus haute importance. C'est assez caché mais ça existe, les toilettes publiques. Ça coûte 5 soms l'entrée et on te donne un morceau de papier toilette en échange. C'est un endroit horriblement répugnant : alignement de box sans porte avec trous dans la dalle de béton. C'est une étable en fait. Avec des trous au sol. Un urinoir pour femmes. Je n'ai pas encore trente ans, je me considère plutôt sportive et je trouve pourtant ça difficile de s'accroupir ici, viser et se relever ; je me demande bien comment fait la mamie toute frippée entrée à ma suite...
Je rage un peu car Tom s'est trompé dans les dates d'arrivée. Il est à Bishkek demain matin et j'aurais largement pu me passer de cette étape inutile et y être à temps en prenant le train cet aprem. Trop tard...
Bon, je me décide de ne pas être venue pour rien et d'aller visiter ce cimetière. Absolument rien de spécial. Il est exactement comme les autres. J'en verrais de plus beaux. Au moins, je pique-nique à l'ombre et tranquille.
Je deviens très mauvaise intérieurement contre les kirghizes à force d'être prise pour une cruche, une extra-terrestre, Bill Gates ou une poupée gonflable. Idem pour ceux qui me regardent ou qui m'abordent avec leurs, à peine, deux mots d'anglais croyant qu'on va lier connaissance et avoir une grande discussion philosophique sur nos deux pays. Idem pour ceux qui "hurlent" véritablement "hello". Qui fait-ça? Qui hurle sur quelqu'un en disant "bonjour" comme si il accomplissait un acte de bravoure ou que je leur devais quelque chose? Bref, je deviens mauvaise. Il est temps de faire une pause.
Retour anticipé
Je mettrais un long moment avant de trouver la gare de bus d'où partent les taxis partagés pour Naryn et pour qu'ils se remplisse aussi. J'ai décidé de ne pas dormir ici, je n'ai pas du tout le feeling At-Bashi. Comme ça je m'avance sur la route et ce sera moins cher et plus confort en ville. Je ne me laisse pas arnaquer sur le prix et maintiens mon 150 soms avec mépris.
La Guesthouse à Naryn me fait du bien. Je suis toute seule, il y a de l'eau chaude, de l'électricité et une cuisine. Je vais boire un latte et manger un gros gâteau au chocolat au café rattaché à mon hôtel pour me réconforter de mes faux problèmes de riche touriste occidentale. Je fais quelques courses et bulle, heureuse, dans mon abri en dur.
c'est l'heure de rentrer!
Jusqu'à la gare, toute une histoire!
Tash-Rabat c'est aussi loin au retour... Après quelques tergiversations et une heure d'attente, je suis en route pour Kotchkor dans une machroutka, un mini-bus public. Sur place, j'essaie d'aller visiter une coopérative de femme de shirdak , travail du feutre, complétement faussement référencée sur GoogleMap, marche de 40 min inutile. Je finis quand même par la trouver, collée à l'office de tourisme, à deux pas de la rue principale. Je n'ai pas fini de rager ces deux jours...
J'observe les femmes fabriquer leurs pièces, entre découpes et coutures, et je m'offre mon premier cadeau kirghize, une petite pochette en feutre pour mes écouteurs. Attente infinie que mon taxi partagé à destination de Balyktchy, à pourtant moins d'une heure de là, se remplisse. Récupération vélo et recherche, laborieuse de nouveau - mais que se passe-t-il? Où est mon modjo? - de la gare. Suis-je fatiguée ou est-ce compliqué? Je dois être fatiguée parce que repérer les rails sur la carte Google c'était plutôt facile. Peut importe, j'y suis, deux heures en avance, j'ai confirmation que le train part et j'arrête de stresser sur le fait d'être à Bishkek ce soir.
Le train Rybachye-Bishkek
Pas facile en effet d'avoir des infos sur ce fichu train. Il est peu fréquenté sauf en été par les Russes mais les gens lui préfèrent en général le taxi ou le bus beaucoup plus rapide et pas beaucoup plus cher.
Pour les horaires c'est ici http://kjd.kg/ky/train-schedule/ et Google traduit pour moi.
C'est un joli train vert, vieillot à souhait. En bois à l'intérieur, avec des rideaux vichy. Lent. Mais toujours moins que moi à vélo. Il faut quatre heures jusqu'à Bishkek. Le personnel du train m'aide pour hisser mon vélo. Ils sont impressionnés que je voyage seule, ça perturbe du monde par ici. Nouvelle proposition de compagnon de voyage mais je décline, je préfère les blonds, désolé. Ils sont aussi intrigués par mon chargeur solaire que je ne vends pas non plus, désolé encore.
Je suis quasi seule dans le wagon. La nuit tombe vite et j'en profite pour me reposer.
Bientôt Bichkek et bientôt un autre voyage, à vélo toujours mais à deux cette fois.
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