Un retour au voyage solo brutal
pour visiter ma douzième et dernière perle
des Antilles : Saint Vincent, sa Kingstown et son volcan…
malaise
L'avion qui m'emmène est un petit coucou d'une trentaine de place. Il fait escale à Canouan avant de se poser sur Saint Vincent et j'ai un magnifique aperçu des îles et leurs récifs vues du ciel. Nous arrivons avant la nuit et je prends sur moi pour demander aux gens de l'avion s'ils vont sur Kingstown, la capitale. Les premiers acceptent tout de suite, ils ont l'air riches et sont assez sympas pour me déposer devant la porte de ma chambre d'hôte pourtant pas facile à trouver. Le quartier est excentré, nous sommes à une trentaine de minutes à pied du centre. Ce soir là, je commande une pizza et on me fera un prix sur la course car je n'ai pas assez de liquide. Je n'ai que de bons retours et pourtant j'ai peur.
Je m'effondre enfin de sommeil après ces 36 heures sans presque dormir.
C'est une grande maison verte adossée à la colline, j'y viens à pied le reste de mon séjour et elle est fermée à double tour. La dame qui s'en occupe est très gentille mais particulièrement stressée de la fermeture des portes.
A tord ou à raison, je me le demande.
Cette manie sécuritaire illustre le malaise constant de mes deux jours sur Saint Vincent. Est-ce parce que je suis tout à coup seule à nouveau, en pleine responsabilité, que le sentiment du danger, l'instinct de protection se met en route? Surement que de ce simple fait, je me sens exposée et vulnérable tout à coup. Mais pas seulement… Car indéniablement, de cette solitude naît des regards d'autant plus curieux, insistants et donc déstabilisants. Est-ce aussi à cause de ces maisons bien protégées derrière les barbelés? De ces bandes d'hommes plutôt dépenaillés qui peuplent les rues? A bien y réfléchir, il y avait exactement les même à Grenade ou la Barbade. Mais il est sûr que les écarts de richesse démentiels créent beaucoup de tensions et de conflits dans ces îles. Si je n'ai jamais eu à déplorer d'incidents, l'on connaît certaines histoires et l'attitude inquiète qu'ont plusieurs locaux à notre égard prend bien ses racines quelque part. La violence est présente pour tout un tas de raison - chômage, drogue, isolement, pauvreté… tout comme la Martinique et la Guadeloupe.
Je suis au milieu, petite blanche riche mais vagabonde et je me sens soudain tout à fait illégitime.
Kingstown
Ce n'est pas si loin. J'arpente les rues. C'est extrêmement coloré, un peu défraîchi mais joli. Je marche, je marche et on me regarde, me regarde. Sans rien dire. Je ne sais vraiment plus si c'est parce que je suis blanche, ou seule, ou pas dans le bon quartier, ou pas dans le bon restau du centre-ville… Ou peut-être tout ça à la fois. Je visite le centre, des églises, un cimetière. Je vais au marché, fais des courses et un peu de shopping. Je sillonne le petit jardin botanique et bon nombre de rues - plusieurs fois les mêmes d'ailleurs - avant de rentrer par la route de l'embarcadère qui s'élève sur la ville et la donne à voir dans son entier, chatoyante, grimpant aux flans des vertes collines.
Je peux cuisiner à mon auberge et je crois qu'il n'y a personne d'autre que moi et la vieille dans cet immense bâtisse. Les grandes fenêtres de ma chambre vert pomme - vert pistache, donnent sur la terrasse et la mer. L'ancienne piste de l'aéroport est juste en contrebas : c'est un lieu pour venir se balader à pied ou en voiture devant le coucher de soleil. Un perchoir plus haut, je les observe.
Demain petit dèj à 7h, j'ai décidé d'aller vraiment me promener.
volcan
Ce fut une journée exploration tout en hésitation. Mais finalement un parfait programme tenu qui me laisse un beau souvenir de l'île. Tôt le matin j'attrape un collectif pour le centre puis un autre pour le nord, côte ouest : Richmond Valle. C'est très long - environ 2 heures - et peu confortable : nous sommes tous très serrés, je ne comprends pas grand-chose aux discussions alentours. Au dehors, le soleil alterne avec la pluie. Au vu de l'heure qui tourne et de la météo, je suis sceptique sur la possibilité de marcher en montagne. Je n'ai aucunement l'envie de répéter ma mission gadouillasserie guadeloupéenne, je ne m'en sens ni la force physique, ni la force morale.
Le taxi finit par me larguer en bord de route au milieu de rien. " La plage est au bout". OK
Il est 11h30 et j'ai rayé la rando dans ma tête mais je me dis que je vais quand même aller voir le bord de mer et les environs. Quitte à être là.
C'est très vert autour de moi, une vache broute au milieu des cocotiers. Je croise un travailleur quasiment en haillons. Sur la plage, il y en a d'autres. Je ne sais pas ce qu'ils ramassent… du sable? des graviers? ll y a des petits tas sur la plage et je sais que cela se fait au Cap Vert. Je m'éloigne. Personne à part eux. Il pleut. En longeant la rivière, je suis un sentier qui la traverse pour reprendre de l'autre côté. Des arbres énormes bordent la piste. C'est une jungle magnifique à une centaine de mètres du sable. Restée pied nus dans le sous-bois, je passe un moment assise sur un tronc d'arbre face à la mer pour enlever les belles grosses épines des fougères arborescentes de mes plantes de pieds. Je goutte l'eau. J'hésite. Je fais quelques pas encore. Voici l'entrée du chemin. Et d'autres travailleurs.
Allez! 14 km c'est rien! Et puis qu'il pleuve!
Je me dépêche pour rattraper le temps et pallier à d'autres imprévus. Le sentier s'enfonce dans un canyon puis rejoins la crête d'une ravine. Me voici ragaillardie par la décision prise et la marche. Il n'y a personne que la jungle, des cabanes perdues dedans et quelque plantations. Les panneaux touristiques partiellement effacés et vermoulus évoquent la lutte contre la culture du cannabis dans ces reliefs isolés. La route la plus proche est celle que j'ai laissé et je ne suis pas encore au bout de l'île, c'est dire s'ils sont reclus par ici! Mon cœur s'emballe aux aboiements de chiens, je m'enfuis sans les voir. Il y a la chaleur et les averses, les ondulations des ravines couvertes de manguiers, bananiers, ficus et fromagers. Je croise tout un groupe de français avec un guide du coin : ils me rassurent, je ne suis plus très loin. La végétation se fait plus rase. Le vent forcit. Me voici au sommet. Tout au bord du volcan. L'on devine quelques fumerolles et des cristaux de souffre. Les nuages défilent sur la crête dévoilant par intermittence le cœur magnifique du cratère. Pensées açoriennes. La vue est incroyable, c'est immense! La sente coure un petit moment le long du gouffre avant de replonger dans une jungle nébuleuse. La brume sur ce versant pose un étrange silence sous la canopée tropicale. Mystère que brise le vrombissement rendu assourdissant d'une minuscule créature, un colibri invisible. Suivent les bambous, aussi larges qu'une bouteille de vin, leur enchevêtrement et rupture forment des pergolas au chemin. Enfin c'est la route à nouveau bordée de champs de bananes et de cocos.
Parvenue à l'axe principal, j'ai juste le temps de m'acheter une Ginger Ale - soda au gingembre - avant qu'un bus direct pour Kingstown ne déboule.
Parfait timing improvisé.
Je rentre à pied à l'hôtel alors qu'il fait encore jour. Ma logeuse m'y attend, inquiète et heureuse de me voir.
C'était une très belle randonnée d'adieu à ces terres de jungle. Je suis si heureuse de m'être finalement décidée à y aller et de clôturer cette aventure caraïbe sur une nouvelle touche de magie.
Demain c'est New-York. Et, sans la connaître encore, il n'y a rien que je puisse imaginer de plus éloigné de mon environnement actuel que cette tentacule minérale, cet assaut du ciel par la pierre et le verre.
Ca va nous faire du changement!
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